Stratégie, communication et influence :
après la crise, seules les identités fortes survivront
La crise financière qui bouleverse tout à la fois nos économies et nos sociétés aura au moins eu un mérite : remettre les pendules à l'heure. Après les utopies lénifiantes reposant sur l'argent facile et les discours délétères sur le devenir de ce "brave new world", l'heure a sonné d'un retour au réel ! Les têtes pensantes du top management ont analysé l'impact de la crise dans ses plus intimes conséquences. Elles savent qu'il va dorénavant falloir apprendre à réfléchir et agir autrement, à recadrer des perspectives jusqu'ici considérées comme acquises, à envisager d'autres moyens, à privilégier d'autres logiques...
La sphère communicationnelle va devoir tenir compte de ces bouleversements. Elle n'échappera pas à une remise en cause globale, tant de ses méthodes que de sa manière de penser. S'il demeure certain qu'une approche quantitative et grand public sera toujours nécessaire, d'autres options méritent d'être étudiées. D'ores et déjà, il paraît inéluctable de mettre en oeuvre d'autres vecteurs, plus adaptés aux configurations présentes et à venir. Le temps est venu d'explorer de nouveaux créneaux de communication et de mettre en place des vecteurs privilégiant les contenus.
Dans cette perspective, une stratégie d'influence constitue une arme puissante. Encore faut-il savoir de quoi l'on parle. Qu'est-ce qu'une stratégie d'influence ? Qui vise-t-elle ? Quand et comment l'engager ? Qui doit la piloter ? De quelle manière peut-on l'intégrer dans une politique de communication ? Concerne-t-elle seulement les grandes structures ou est-elle à la portée d'une PME, voire d'une entreprise familiale ? Qu'apporte-t-elle concrètement ? Quels retours sur investissement en attendre à moyen et long terme ?...
Toutes les élites du top management ont peu ou prou établi le même constat : quand le marché se retourne, il est impératif de se distinguer des autres. C'est même une question de survie. Cependant, choisir d'engager la structure dont on a la charge sur la voie d'une stratégie d'influence de haut niveau implique prioritairement que soit engagée une réflexion en profondeur sur son identité. C'est seulement à partir de là que peut se déployer une communication d'influence pertinente et adaptée à la nouvelle configuration. Alain Juillet, Haut responsable à l'Intelligence économique, a parfaitement défini la nature même de cet outil. "Une stratégie d'influence a simultanément pour but de convaincre de la justesse de la stratégie sélectionnée, et d'organiser des actions de contre-influence face aux pressions et aux désinformations venues d'ailleurs. L'engager efficacement suppose une réflexion très en amont pour acquérir une capacité d'anticipation et une vision objective de l'environnement, permettant d'optimiser l'utilisation des outils de l'intelligence économique et, pourquoi pas, de certains vecteurs de communication."
Semblable démarche exige du top management une volonté puissante et une vision à long terme, qualités parfois difficiles à revendiquer haut et fort à l'heure où règnent la pensée convenue et l'obsession du court-termisme ! Engager une communication d'influence constitue donc une épreuve délicate. Mais à celui ou à celle qui se donne les moyens de ses ambitions, elle assure en revanche de sérieux retours sur investissements, notamment en matière d'estimation de la valeur immatérielle des organisations concernées.
De fait, publiques ou privées, toutes les structures s'interrogent sur la pertinence de leur communication actuelle. Directions générales, marketing ou de communication sont désormais en quête de nouveaux axes de réflexion et de process d'action innovants. Nombre de décideurs estiment avec raison que la publicité et les autres modes de communication classique semblent dorénavant avoir trouvé leurs limites. Mais par quel bout prendre le problème ?
Dans cette perspective, il convient prioritairement de s'extraire des cadres habituellement connus. Et d'oser penser la communication en terme d'influence. Oui, mais comment avoir de l'influence ? Par quels biais acquérir une identité forte ? De quelle manière mettre en place une communication "intelligente" (au sens anglo-saxon du terme) permettant, quand la récession menace, d'apparaître comme différent ?
Le principe de base est simple : il ne suffit plus aujourd'hui de communiquer sur son seul savoir-faire. Trop souvent, entre les ténors d'un même secteur, les différences de prestations ou de produits sont infinitésimales. Il importe donc de jouer sur d'autres registres si l'on veut afficher sa différence. En l'occurrence, c'est l'identité de la structure qu'il convient désormais de mettre en relief si l'on veut creuser l'écart avec ses concurrents. Autrement dit, acquérir une spécificité et susciter l'intérêt des relais d'opinion exigent de mettre en place une politique de branding de haut niveau. Telle est la clé d'entrée pour une communication d'influence sainement conçue.
Appliquée au domaine de la communication, l'influence présente un profil spécifique. Une communication d'influence implique de penser en d'autres termes et en fonction d'autres paramètres que ceux habituellement reconnus dans les agences de communication. En simplifiant à l'extrême, la publicité permet d'être perçu par le grand public et le marketing sert à connaître ce grand public afin de maximiser les objectifs commerciaux. Or, être influent, c'est jouer sur d'autres registres, qui se situent essentiellement en amont des processus de décision. C'est faire en sorte que les parties prenantes de la structure concernée - et les relais d'opinion qui la suivent - l'identifient comme étant différente, solide, authentique, cohérente et porteuse d'avenir. Comment ? Par son aptitude à développer un discours original et structuré, la faisant apparaître comme leader dans son segment d'activité. Et surtout comme un interlocuteur déclinant des messages dont le contenu présente un intérêt digne d'être relayé.
Opter pour un tel positionnement suppose d'emblée que l'on ait la volonté affichée de présenter une authentique spécificité au regard de ceux qui "font l'opinion". Mettre en avant son identité grâce à un discours haut de gamme permet de se distinguer des concurrents. Pour une marque - et une entreprise en particulier - se faire reconnaître grâce à une identité finement ciselée est capital. Mais la tâche est complexe : afficher un profil original et clairement positionné exige tout à la fois du courage et de la clairvoyance de la part de la direction. C'est là un choix d'ordre stratégique, qui sous-entend que l'on a la volonté de prendre de la hauteur dans ses discours et ses positionnements.
A cet égard, il faut bien comprendre qu'afficher une spécificité concerne moins le savoir-faire de la structure-cliente - que tout le monde a déjà en tête - que la mise en avant de l'identité que l'on souhaite faire percevoir. S'engager sur une telle voie signifie que l'on s'efforce d'échapper au conformisme ambiant. Etre différent, c'est d'abord exister, donc sortir du lot... si possible par le haut ! Vue sous cet angle, l'influence constitue un outil puissant pour une direction soucieuse d'optimiser ses options stratégiques. La politique de communication n'est alors pas conçue comme un simple outil d'exécution, mais comme un bras armé capable de transposer dans les faits, avec une efficacité maximale, les objectifs assignés par la direction générale.
A côté des instruments ayant vocation à appuyer directement la démarche commerciale - publicité, marketing direct... - il s'agit de présenter d'autres vecteurs, ayant pour but de donner une image haut de gamme de la structure concernée. Celle-ci doit conférer du sens à son action. Etre crédible exige d'avoir du fond. Une des particularités de l'identité est de faire surgir l'authenticité. On accorde sa confiance à une entité qui montre qu'elle sait où elle va. D'abord parce qu'elle a une perception de sa situation et de son évolution à 360°. Elle n'est pas enfermée dans ses problématiques internes. Elle offre une vision synoptique de son être et de son devenir. Cette capacité à penser son action présente et à venir dans un panorama qu'elle a pris en compte lui confère une indéniable crédibilité. C'est cette perception qu'elle doit faire partager à l'ensemble de ceux qui suivent ses activités, en leur adressant des signaux compréhensibles et surtout, en leur fournissant des repères à travers des messages réguliers et structurés.
Une fois l'option stratégique clairement définie, il va falloir intégrer concrètement les actions d'influence dans la communication de la structure cliente. Les vecteurs seront dès lors proposés sous différentes formes : newsletters, revues, cahiers paraissant à intervalles réguliers, ou encore rapports, discours, articles, colloques, séminaire offrant l'opportunité d'opérations de RP. En fait, ce qui compte ici, c'est l'élaboration d'un contenu éditorial différent, de haute tenue, capable de soutenir, expliquer, conforter et surtout valoriser l'identité que la direction a choisi de revendiquer au coeur de sa stratégie.
Concrètement, une telle démarche répond à une volonté d'optimiser le positionnement et l'image de la structure concernée. Le retour sur investissement, (ROI, Return on investment), visé peut se résumer en trois mots : cohésion, adhésion, valorisation !
Cohésion d'abord. Parce que toute organisation publique ou privée souhaite renforcer ses liens avec ses parties prenantes : clients et fournisseurs, décideurs publics et privés, actionnaires et salariés, relais d'opinion, médias, chercheurs, analystes, bref tous ceux qui évoluent avec l'organisation, la jaugent et in fine la jugent. D'où la nécessité de développer un profil et un discours qui sortent de l'ordinaire. La clé de l'influence, c'est l'affirmation d'une spécificité reposant sur des traits d'identité clairement perçus.
Adhésion ensuite. Par un effet ricochet aisément compréhensible, une telle stratégie permet de renforcer l'adhésion des salariés à la culture d'entreprise. C'est là une donnée à ne pas négliger, non seulement quand on traverse des passes difficiles, mais aussi en matière de recrutement. Une notoriété, reposant sur une crédibilité reconnue et une identité fièrement affichée, séduit plus facilement les personnels à fort potentiel. Or nul n'ignore que c'est la qualité du recrutement - les ressources humaines - qui fait la vraie valeur d'une structure, qu'elle soit publique ou privée.
Valorisation enfin. Il s'agit surtout par ce biais d'accroître la valeur immatérielle de la structure en question. Dans l'économie de la connaissance, le patrimoine immatériel de l'entreprise constitue un facteur crucial de sa puissance financière. En effet, ceux qui observent son développement sont sensibles à une communication sur mesure et de haut niveau, mettant en relief son aptitude à se projeter dans l'avenir, à développer un discours haut de gamme cohérent, étayé par un recours permanent à des sources crédibles et diversifiées, confortant ainsi un discours différent de celui de ses concurrents. Une communication d'influence digne de ce nom, s'appuyant sur des vecteurs réguliers et approfondis, contribue à forger la notoriété d'une entreprise auprès de ceux qui l'évaluent, et donc à accroître sa valeur estimée.
Il serait erroné de croire que l'engagement d'une communication d'influence constitue l'apanage des majors de la vie économique. Trop souvent, on se focalise en France sur les seuls grands groupes, très performants, très efficaces, facilement identifiables et identifiés, donc d'emblée placés sous les projecteurs médiatiques... pour le meilleur et pour le pire ! Mais il ne faut pas pour autant négliger le tissu économique qui fait la vraie richesse d'un pays, par la diversité de son implantation et de sa production, par sa capacité à innover et à travailler avec des ressources limitées ! A moins d'y consacrer de lourds budgets, les campagnes publicitaires sont souvent inutilement coûteuses, avec un impact éphémère. En revanche, une stratégie d'influence se construit le plus souvent avec des moyens raisonnables et sur le long terme, mais avec de forts retours sur investissement en termes d'image, de notoriété et d'évaluation financière.
Pour l'entreprise, il ne s'agit pas ici de s'adresser à la terre entière, mais plus prosaïquement d'intéresser et fidéliser ses parties prenantes. A cet égard, l'engagement d'une stratégie d'influence est parfois plus aisée en faveur d'une PME, a fortiori d'une PME familiale disposant déjà d'une forte identité, que d'un grand groupe où les réticences à l'innovation et les luttes intestines peuvent être plus fortes. Outre leur autonomie financière, cette capacité des entreprises familiales à appréhender le réel sur le long terme constitue indéniablement un atout. Le Financial Times ne s'y est pas trompé qui leur a consacré le 25 juillet dernier une longue analyse intitulée "Driven dynasties - Family companies profit from taking the long view"...
A rebours des apparences, une PME peut très efficacement explorer avec succès une telle voie. Les délais de décision sont plus courts, les moyens à y consacrer restent relativement modestes au regard des objectifs poursuivis. De fait, la révolution numérique a changé la donne. Paradoxalement, Internet a remis l'écrit à l'honneur. Par le biais de vecteurs dématérialisés conçus avec soin, toute PME, voire TPE à forte valeur ajoutée, peut délivrer un discours porteur de sens. A une condition cependant : privilégier la qualité des contenus. Une stratégie d'influence digne de ce nom ne supporte pas la médiocrité.
une innovation délicate pour la mentalité française
L'influence a en France mauvaise presse, parce que ce terme est assimilé aux tentatives de déstabilisation ou de manipulation. L'excellent ouvrage de François-Bernard Huyghe, tout récemment paru, "Maîtres du faire croire, de la propagande à l'influence" (Vuibert, automne 2008), aide à mieux comprendre les arcanes de ce monde, souvent aussi opaque que complexe. Or, l'influence est comme la langue d'Esope, elle peut être la meilleure ou la pire des choses. Penser l'influence non à partir des prémices communs et à connotation négative, mais en termes de communication proactive, permet d'envisager la problématique sous un autre angle. C'est là qu'une synergie entre spécialistes de l'influence et professionnels de la communication peut se révéler aussi riche qu'opportune. Indéniablement, il y a des passerelles à établir entre ces deux mondes. Car leurs méthodes, leurs visées, leurs logiques, sont complémentaires. Malgré tout, dans les faits, il est indéniable que ce sont là deux univers qui généralement ignorent tout l'un de l'autre, se manifestant souvent une défiance réciproque, avec des personnalités de culture, d'esprit et de traditions différentes.
Pôle majeur de l'intelligence économique, l'influence mérite d'être étudiée de plus près, avec un regard neuf, afin de constituer une ressource de poids pour la sphère communicationnelle. Pour emporter la décision dans la guerre économique, il ne faut pas se contenter d'avoir le meilleur produit ou le savoir-faire le plus approprié. C'est là une condition essentielle, mais néanmoins insuffisante. En effet, dans bien des cas, il ne suffit pas d'être techniquement "au top". Car en réalité, c'est l'identité perçue qui fait la différence. Mais dans ce cas, pour faire connaître la spécificité qui fonde l'identité, encore faut-il disposer de communicants aptes à sortir des discours convenus. D'où l'impérieuse nécessité d'instaurer une collaboration étroite entre direction générale, direction de la stratégie et direction de la communication.
Ensuite, il est nécessaire de s'affranchir des messages ressassés, de se montrer au contraire audacieux et innovant. Une communication d'influence n'a de chance d'aboutir que si elle est étayée par un discours haut de gamme, cohérent et porteur. On ne le répétera jamais assez : mettre en oeuvre une authentique stratégie d'influence est avant tout affaire d'état d'esprit. C'est là que la personnalité du top manager se révèle être essentielle. Car il s'agit là non seulement d'opter pour des outils d'un genre nouveau, mais surtout de se montrer capable de réfléchir différemment et d'exprimer cette pensée à travers des messages réguliers, structurés, s'abreuvant à des sources nouvelles et exploitant des thématiques susceptibles d'attirer l'attention par leur originalité et leur pertinence. Beaucoup se refusent à le faire, parce qu'il est périlleux de sortir des chemins convenus. Il est vrai qu'il est plus facile de se fier aux balises de la pensée commune et qu'il est souvent dangereux d'afficher sa différence.
Autant dire que l'on s'engage ici sur une voie nouvelle. Mettre en oeuvre une communication d'influence suppose bien évidemment que le dirigeant d'entreprise ait une solide personnalité ! Affirmer ainsi son identité face aux relais d'opinion implique une forte volonté de la part de celui qui en prend l'initiative, une capacité à se positionner à l'écart des modes, à avoir son langage propre et ses propres référents, et surtout à agir sereinement et fermement à longue échéance. La personnalité du manager joue donc à plein. Cela ne s'improvise pas. En vérité, c'est le manager qui fait l'influence.
Une telle démarche repose donc sur des ressorts bien particuliers. En sculptant petit à petit son identité, il s'agit d'acquérir une spécificité par la mise en place d'une politique de branding de haut niveau. Plus exactement, on se situe là dans la sphère de ce que les théoriciens et managers anglo-saxons nomment le high end branding, autrement dit la réflexion sur la marque poussée dans ses ultimes conséquences. Or, la marque ne se résume pas à un logo, à une baseline ou à une égérie. Le coeur nucléaire de la marque réside en l'identité.
Jouer sur l'identité de sa structure sera - n'en doutons pas - l'un des enjeux essentiels de demain. Dans la période de mutation en profondeur qui est la nôtre, les sphères du top management ont tout intérêt à étudier et favoriser l'engagement de synergies entre spécialistes de l'influence et directions de communication. A cet égard, si les meilleures universités d'Amérique du nord travaillent méthodiquement ces questions, c'est qu'il y a de sérieux retours sur investissements à en attendre, en particulier en ce qui concerne l'estimation de la valeur immatérielle des marques et des entreprises. Une dimension qui sera probablement prise en compte et très au sérieux par les structures appelées à remplacer dans les mois et les années à venir les agences de rating discréditées par la crise. Là aussi, la communication d'influence constitue un outil précieux que les directions générales comme les directions financières devront apprendre à considérer d'un oeil nouveau.
* Bruno Racouchot, 49 ans, DEA de Relations internationales et Défense de Paris-Sorbonne, est le directeur de la société Comes Communication, créée en 1999, et installée à Paris, Lyon et Toronto, (www.comes-communication.com). Il développe un concept original de communication d'influence, reposant sur la valorisation des identités. Il a publié en avril 2008 "Stratégies d'influence, le rôle-clé des idées", dans la revue "Défense", de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale. Accompagné par son équipe, il travaille en étroite collaboration avec des spécialistes de la planification stratégique, du management et du branding nord-américains. Comes Communication publie chaque mois Communication & Influence, une Lettre de réflexion téléchargeable sur son site Internet.