Communication & Influence N° 18 - Mars 2010
- A LA UNE
- Editorial - Le miroir afghan
- Focus - Guerre et communication : penser autrement
- ENJEUX D'AUJOURD'HUI ET DE DEMAIN
- Guerre et distorsion de perception par Mériadec Raffray
- Opérations d'influence et bataille de l'information
- Guerre, représentation et influence par Jean-Dominique Merchet
- Effet militaire, effet médiatique, effet politique
- DU SENS, DES REPÈRES
- Biographie - Hogard : la guerre sur un mode synoptique
- Extraits
- Jalons
Nous projetons souvent sur le réel nos propres espérances ou nos propres craintes. Plutôt que de regarder les événements avec lucidité, nous cédons à la facilité de les appréhender via le prisme déformant du désir ou de la haine, de la joie ou de la peur. Notre grille de décryptage du réel est soumise à une multitude de paramètres, idéologiques, culturels, moraux, religieux, sociétaux... qui façonnent notre être et conditionnent notre manière de regarder le monde. Nous croyons comprendre l'autre, sa logique, sa manière de voir et de vivre les choses. Or, souvent, nous faisons fausse route. Parce que nous ne le voyons pas tel qu'il est, mais tel que nous souhaitons qu'il nous apparaisse - consciemment ou inconsciemment.
La sphère des relations internationales n'échappe pas à la règle. Contrairement à ce que l'on a longtemps pu croire, les Soviétiques n'ont pas connu une déroute en Afghanistan. "Afghanistan - Les victoires oubliées de l'Armée rouge"(Economica) du journaliste Mériadec Raffray, minutieuse analyse de la stratégie engagée alors, le prouve. En revanche, ils ont indéniablement perdu sur le plan de l'image. Bien plus que le fracas des armes, c'est donc le jeu complexe de l'information, son traitement, son articulation qu'il faut analyser comme invite à le faire Jean-Dominique Merchet, dont le blog est bien connu des spécialistes des affaires de Défense.
Au-delà de l'aspect polémologique, le chaudron afghan incarne le resurgissement de forces archaïques et éternelles dans notre monde sécurisé et aseptisé. Il nous rappelle que le réel n'est que très rarement appréhendé correctement. En avons-nous d'ailleurs la capacité et même la volonté ? En ce sens, l'Afghanistan d'aujourd'hui nous tend un miroir de nos faiblesses et de nos failles. Le monde est affrontement de puissances. L'oublier ou l'occulter est dangereux. Cette réalité somme toute banale paraît presque incongrue en notre époque de "cocooning" généralisé. La sagesse serait alors de nous interroger sur la validité des filtres à travers lesquels nous percevons le monde... Si la communication veut à nouveau opérer de manière intelligente et exercer une authentique influence vis-à-vis de ses différentes parties prenantes, il est grand temps qu'elle s'en souvienne et qu'elle examine d'un oeil critique le socle de ses certitudes.
Directeur de Comes Communication.
Ancien commandant du Centre de doctrine et d'emploi des forces, aujourd'hui à la tête du Collège Interarmées de Défense, le général Vincent Desportes a publié en 2007 un essai fin et précis, "La guerre probable" (Economica). Les lignes qui suivent se passent de commentaires : "Aujourd'hui, conduire la guerre, c'est d'abord gérer les perceptions, celles de l'ensemble des acteurs, proches ou lointains, directs ou indirects. II faut donc définir le message que l'on veut transmettre et concevoir les actions qui permettront de le faire passer au 'village global', qui est autant Falloujah et Kandahar que Moscou, Dallas, Liverpool ou Paris. Cela veut dire que la guerre, loin d'être menée pour elle-même, doit être considérée comme un moyen de communication à inclure dans une stratégie globale de communication comportant bien d'autres vecteurs. L'usage violent des armes s'avère d'ailleurs initialement souvent le plus important ; en effet, d'une part, il est le plus audible et, d'autre part, le fracas initial des armes est fréquemment indispensable pour imposer 'le silence stratégique' dans lequel pourront être entendus les autres vecteurs de communication.[...] Le message et la façon dont il est délivré, puisque les actes s'entendent mieux que les discours, sont fondamentaux pour la réalisation de l'effet politique." Et le général Desportes de conclure : "La guerre probable, ce n'est plus vaincre, c'est beaucoup moins contraindre, c'est convaincre. Cela, encore, nous oblige à penser autrement."
Signe annonciateur d'une faillite politique majeure - à savoir la chute du communisme - le retrait de l'Armée rouge d'Afghanistan en 1989 ne consacra nullement une défaite militaire. Cependant, l'Occident fut persuadé du contraire. Vision confortable et manichéenne. La réalité fut plus complexe. Tirer les enseignements de ce conflit exige de distinguer d'un côté les faits, de l'autre leur interprétation. Ce qu'a fait Mériadec Raffray, à travers une analyse aussi rigoureuse qu'objective. Elle permet de comprendre comment s'articulèrent la réalité, la tactique militaire, la volonté géopolitique, l'information et la communication au travers de multiples jeux d'influence.
"Afghanistan - Les victoires oubliées de l'Armée rouge" : de prime abord, pour le néophyte, le titre semble provocateur. Il n'en est rien. Pour bien le comprendre, il faut partir de la fin. Lorsque, pour rentrer chez eux, les Soviétiques repassent en 1989 le Pont de l'Amitié, sur le fleuve qui marque la frontière entre l'Afghanistan et l'Union soviétique, l'Occident proclame que les nationalistes de Massoud épaulés par les missiles Stingers américains ont mis à genoux l'ours rouge. C'est vrai et faux. 1989 marque effectivement la fin de l'expansionnisme soviétique, et annonce la chute du régime à Moscou. Pour autant, en étudiant de près les dix années précédentes, il apparaît que c'est bien la perception du problème afghan par le Kremlin, de même que les problèmes internes au régime, qui poussèrent les responsables soviétiques à décider du retrait de l'Armée rouge, et non ses échecs sur le terrain.
Compliqué tactiquement, ce retrait est un véritable succès. En moins de dix mois, les Soviétiques replient en bon ordre l'ensemble de leur contingent. Mieux, le régime afghan va encore tenir trois ans face aux coups de boutoir de la rébellion afghane. Cela prouve l'efficacité du travail accompli pendant dix ans. Cette défaite est donc plus politique que militaire. Le fait que nous n'en soyons pas convaincus vingt ans après résulte à l'évidence d'une distorsion de perception.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Dix ans plus tôt, en 1979, une semblable distor¬sion de perception s'opère entre le pouvoir soviétique et Kaboul. L'Armée rouge intervient sur ordre du Kremlin. Essentiellement pour des raisons de politique internationale (accroître son influence dans la région et contrer une éventuelle contre-offensive américaine), accessoirement pour rétablir l'ordre à Kaboul. Ce prisme international occulte la réalité afghane. Le Kremlin n'a nulle idée de la déliquescence de l'Etat afghan et de la révolte qui secoue le pays. De même, il ignore le fonctionnement de la société, le contexte culturel, religieux et sociétal... Le plan de Moscou prévoit que l'armée afghane interviendrait pour mater d'éventuels opposants. Minées en profondeur, ses unités sont clouées dans leurs casernes. Conséquence, l'Armée rouge doit très vite monter en première ligne. Du statut de force alliée, elle se mue en armée d'occupation et entre dans un engrenage terrible.
Sûre d'elle et de ses victoires passées, l'Armée rouge déchante. Elle prend alors conscience qu'il lui faut réagir très vite. Ses généraux demandent des renforts. Ce n'est pas 100.000 hommes dont ils ont besoin, mais de cinq ou dix fois plus ! Au Vietnam, sur un territoire deux fois plus petit, les Américains avaient engagé trois fois plus de forces. Moscou refuse. Pour éviter l'enlisement, l'Armée rouge s'adapte et innove. La technique du marteau-pilon est abandonnée. On recourt à de petites uni¬tés interarmes souples et aux forces spéciales. On passe d'une guerre de généraux à une guerre de capitaines. On privilégie les opérations ciblées, la souplesse, l'initiative, la réactivité, l'adaptation au terrain. Ce qui constitue une véritable révolution pour une institution extrêmement centralisée ! Sur le terrain, le résultat se fait sentir et la situation se rééquilibre.
Tirer les enseignements du passé permet de mieux appréhender les enjeux d'aujourd'hui. A condition de le faire sans oeillères ni préjugés. Quand on se trompe de focale pour examiner une situation, on court à l'échec. L'analyse de l'engagement soviétique en Afghanistan constitue un exemple-type d'une distorsion grave entre la réalité, l'information traitée et la gestion de la communication. La leçon majeure à tirer est que les Soviétiques ont failli s'enliser pour un problème de regard faussé à l'égard d'une situation donnée. Deux enseignements pratiques complètent ce constat : d'une part, les Soviétiques ont réussi à contrôler l'Afghanistan mais au prix du sang (26.000 morts) ; d'autre part, le bilan militaire n'est qu'une facette de la réussite d'une opération de ce type. L'intelligence des situations prévaut bien souvent sur la puissance des armes.
"Dans le contexte afghan de 2009, j'ai identifié, outre les éléments tactiques habituels, des principes spécifiques de la conduite des opérations militaires dans ma zone :
- Agir en tenant compte en particulier de l'environnement humain ; la population est au coeur de notre action. Il est indispensable d'être patient et de ne pas rentrer dans une logique de bilan (pertes adverses) à tout prix.
- Garder en permanence à l'esprit [que] notre priorité est la reconstruction de l'Afghanistan et [que]nous sommes avec l'Alliance au service des Afghans. Il faut les laisser s'impliquer au maximum dans les situations 'afghano-afghanes'.
- Intensifier notre action dans les domaines "Psy Ops" et "Info Ops"[acronyme américain pour désigner les opérations d'influence] pour contrer un adversaire qui maîtrise bien ces domaines, en particulier en les devançant dans la propagation de l'information.
- Gagner la bataille de la perception de notre action (OTAN et France) afin de prendre l'ascendant sur les insurgés. Le premier objectif est de ne pas apparaître comme une force d'occupation vis-à-vis de la population locale. Le second est de diffuser l'idée sur le plan international que dans ce combat contre le terrorisme, les talibans et la corruption, les vainqueurs seront les Afghans eux-mêmes avec le soutien des forces de la coalition. [...]
En prenant bien en compte toutes les facettes de la situation, en ayant des efforts convergents tant militaires que civils, en jouant judicieusement sur le registre de la sécurité, du soutien à une bonne gouvernance, en reconstruisant et en développant ce pays selon des priorités réalistes et en accord avec les habitants eux-mêmes, la communauté internationale peut encore espérer atteindre ses objectifs. La bonne volonté, les hommes et l'argent sont là ! Il s'agit simplement de ne pas reproduire les erreurs des Soviétiques. Ce livre est là pour nous y aider !"
Général Michel Stollsteiner, préface du livre "Afghanistan - Les victoires oubliées de l'Armée rouge". Le général Stollsteiner a commandé le Regional Command Capital RCC de l'ISAF en Afghanistan entre août 2008 et juillet 2009.
Nous sommes volontiers enclins à projeter sur les autres nos propres présupposés idéologiques et nos propres schémas mentaux. L'histoire et la réalité sont souvent perçues via des prismes déformants. Aux yeux de Jean-Dominique Merchet, journaliste à Libération et spécialiste des questions de défense, ce travers peut avoir des effets tragiques. Pour preuve l'incapacité qui est la nôtre d'appréhender correctement la question afghane.
Le livre de Mériadec Raffray, "Afghanistan, les victoires oubliées de l'Armée rouge", montre que le "cas afghan" constitue une illustration emblématique de nos représentations mentales, l'un des derniers vestiges de la guerre froide. Croire que les Afghans ont infligé une déroute aux Soviétiques est erroné, ou du moins n'est qu'en partie vrai. Nous évoluons là dans une construction artificielle, prouvant un déni, conscient ou inconscient, de la réalité. En fait, une analyse minutieuse prouve que les Soviétiques s'en sont finalement bien sortis. Et le mieux que nous puissions souhaiter serait que nous nous en sortions aussi bien qu'eux !
Pourquoi une telle confusion sur ces questions ? Parce que le filtre de l'idéologie a marqué notre mémoire. Entre 1979 et 1989, on a assisté à un déversement de propagande à la fois reaganienne et droit-de-l'hommiste qui a fortement marqué les consciences. D'autant plus qu'il se déployait sur un mode quasi-consensuel. D'un côté les combattants de la liberté, baignant dans l'aura romantique du Cdt Massoud. De l'autre, les Soviétiques et leurs visées expansionnistes. Les bons face aux méchants ! On fait mine de découvrir aujourd'hui que la réalité fut loin d'être aussi simple ! Il est vrai qu'entretemps, le Mur de Berlin et le système communiste se sont effondrés. Preuve s'il en était besoin que nous demeurons trop souvent sous l'influence de nos propres préjugés ou présupposés. On se construit une représentation. Puis, une fois cette représentation bien établie, on vit avec. Et naturellement, on déteste avoir à la remettre en cause. C'est ce que Marcel Aymé nommait le "confort intellectuel".
Appréhender correctement la réalité exige de comprendre comment circule l'information et par quels prismes elle passe pour être exploitée et mise en valeur. Or, il faut savoir que les médias sont par nature déformants. Il ne peut en être autrement. Le travail journalistique consiste à mettre une loupe sur un point qui paraît essentiel, à grossir certains traits. Le regard médiatique déforme nécessairement la réalité. Ce constat, chacun doit l'accepter. Le journaliste comme le public. A partir du moment où l'on reconnaît le principe d'une presse libre, existe obligatoirement ce prisme qui génère d'inévitables effets secondaires.
La communication institutionnelle et l'information obéissent à des logiques différentes. La première délivre des messages destinés à valoriser l'image de l'institution concernée. La seconde consiste à dire et juger les choses non pas sur leur effet, mais sur leur véracité. Dire les faits, c'est produire de l'information. Mais on ne verra jamais tout et l'on ne pourra jamais rendre compte de tout. En revanche, le journaliste est tenu à une obligation d'honnêteté face à des lecteurs reconnus comme des gens responsables, donc capables de se faire leur propre jugement.
Nous vivons dans une époque dominée par la puissance des médias. Mais il faut savoir raison garder. La communication ne peut pas tout. La meilleure stratégie médiatique ne parviendra jamais à combler le déficit de sens. Quand un pays envoie ses hommes au feu, ce qui implique le risque de mourir, il est essentiel de donner du sens à cet engagement. Dans cette configuration, seul le politique est en mesure de répondre à ce profond besoin de sens. L'agitation médiatique tous azimuts ne peut à elle seule combler cette légitime exigence. D'autant qu'il s'agit de soldats français qui risquent leur vie au combat, et le font en notre nom, qu'on le veuille ou non.
Risquer le sacrifice suprême exige explications et analyse de fond. Le médiatique ne peut tenir lieu de stratégie politique. Cela vaut pour nous comme pour les Afghans. Les peuples font leur histoire. Il leur appartient de prouver qu'ils ne sont pas des objets que les autres puissances manipulent. En ce sens, prenons garde à ne pas plaquer nos propres références ou mécanismes intellectuels sur d'autres peuples et d'autres situations. Savoir élargir son prisme de perception du réel est indubitablement une preuve de sagesse.
"Toute guerre est aussi une bataille de communication, et les talibans le savent parfaitement. Que fait-on alors ? On censure la presse ? On fait la morale aux journalistes ? Ou bien l'on prend la peine de réfléchir cinq minutes. Par exemple, en essayant de répondre à cette question complexe : les médias sont-ils les acteurs de la guerre de l'information ou en sont-ils le théâtre ? S'ils en sont le théâtre, mieux vaut reconnaître que les talibans ont parfaitement utilisé un terrain qu'ils connaissaient bien et que, comme ils l'ont fait au-dessus du village d'Uzbin, ils sont parvenus à tendre une embuscade, médiatique cette fois. Que les services officiels en prennent de la graine et qu'ils fassent tomber les talibans dans d'autres embuscades médiatiques, sur les théâtres qui comptent pour eux, ceux de l'opinion afghane et musulmane".
"En attaquant les Français, les talibans cherchaient à produire un effet militaire, mais aussi politique. Sur le second point, ils ont parfaitement réussi, sans doute au-delà de leurs espérances, avec l'aimable coopération du président Sarkozy. Ils ont pu transformer leur 'raclée', pour reprendre le mot du général Puga, en une victoire que personne au monde n'a pu ignorer. Surtout pas les masses musulmanes auxquelles ils s'adressent en priorité."
"Les responsables français expliquent que les djihadistes mènent une guerre destinée à affaiblir la détermination des opinions publiques occidentales. Ce n'est pas faux. Le comportement stupéfiant des socialistes espagnols qui ont retiré leurs troupes d'Irak au lendemain de l'attentat de Madrid prouve d'ailleurs que cela peut marcher. La détermination du président Sarkozy à combattre le terrorisme n'est pas en cause, mais son comportement offre une caisse de résonance inespérée aux groupes qui nous font la guerre. Il vaudrait mieux ne pas l'oublier la prochaine fois."
En 1956, alors que vacille l'empire français, de nouvelles formes de conflits surgissent à la faveur des guerres coloniales. Un jeune officier prend très tôt conscience de l'ampleur des bouleversements, complexes et polymorphes. "Nous sommes en présence d'une transformation plus radicale encore que celle imposée jadis par la Révolution française aux conceptions politiques et militaires de l'époque : la guerre est devenue permanente, universelle et véritablement 'totale'. A nous, imitant les peuples européens du début du XIX° siècle, de nous mettre à l'école de l'ennemi, de consentir les transformations et les sacrifices indispensables à notre salut, et de forger les nouvelles tactiques qui nous donneront la victoire" (1).
Ce qui frappe le lecteur qui découvre l'oeuvre du général Hogard, c'est son extraordinaire capacité à penser dans leur globalité les problèmes auxquels il se trouve confronté. Allant bien au-delà des seuls aspects purement tactiques et militaires, il replace les affrontements de puissance dans un cadre élargi, intégrant de multiples paramètres. Nul doute que dans la guerre polymorphe d'aujourd'hui, il eut été l'un des penseurs fondamentaux de l'intelligence économique...
Bien plus que Galula (2) qui s'inspire de leurs travaux au profit des cercles d'influence américains, Jacques Hogard s'impose, avec Roger Trinquier, Charles Lacheroy et Jean Némo, comme le véritable penseur de la "guerre révolutionnaire". Hogard est un homme d'action et de réflexion. Pas un dialecticien en chambre. Ses succès sur le terrain en Cochinchine, mais surtout au Cambodge et au Laos, comme jeune capitaine, puis dans le Constantinois algérien en tant que chef de bataillon, prouvent son intelligence pratique. Mais au-delà, ses écrits mettent en relief son aptitude à rechercher la racine des problèmes, faisant montre à la fois d'une préscience surprenante et d'une faculté originale à penser les problématiques sur un mode synoptique. Intégrant les facteurs économiques, politiques, culturels et sociétaux à sa prise en compte du réel, Jacques Hogard fut bien plus qu'un officier : un stratège anticipateur des clivages à venir. Devinant les futures lignes de fracture, il intégre dans son analyse la force des idées dans un monde en mouvement. "Hogard aboutit ainsi à la nécessité 'vitale de transformer notre mentalité et notre appareil politico-militaire'", écrit l'une des ses exégètes (3). Faire prendre conscience des nouveaux enjeux est un paradigme essentiel aux yeux de Jacques Hogard. Pas étonnant ! Réaliste et lucide, les choses de l'esprit lui seront toujours chères. Peu de gens savent que ce catholique pratiquant connaissait à merveille les arcanes du bouddhisme Hinayana...
(2) "Précurseurs et visionnaires, les mentors français de l'US Army", Communication & Influence n° 3, octobre 2008.
(3) Marie-Catherine Villatoux, "Hogard et Némo - Deux théoriciens de la 'guerre révolutionnaire'", in Revue Historique des Armées, n° 232, année 2003.
Les trois forces qui font la stratégie - "La stratégie n'est pas l'art de manier les armées comme nous le croyions, obnubilés que nous étions par notre notion de la guerre "totale" qui nous faisait oublier toute autre force que la force militaire. Elle est l'art de doser et de faire concourir la force au succès d'une politique. Or, si la puissance résulte de nombreux facteurs (démographique, économique, politique, moral, scientifique et culturel, etc.), il existe trois forces et trois seulement : la force morale (ou "idéologique" ou "spirituelle"), la force économique, la force militaire. Toutes trois jouent leur rôle en permanence, en temps "de paix" comme en temps "de guerre". La stratégie est l'art de les combiner." Jacques Hogard, Cette guerre de notre temps, Revue de Défense Nationale, août-septembre 1958.
1918 - Naissance à Beaune de Jacques Hogard. Son père, général de l'Armée d'Afrique, commande les Goums Marocains.
1940 - A sa sortie de Saint-Cyr, il se bat à la tête d'une section de tirailleurs sénégalais. Prisonnier, trois fois évadé, trois fois repris, il finit sa captivité à Colditz.
1945 - Epouse la soeur du général Pierre de Bénouville.
1945-1953 - Lieutenant puis capitaine en Indochine dans l'Infanterie de marine. Il sert au Laos puis au Cambodge. En 1951, il vient à bout du général Nguyen Binh, chef de l'armée vietminh de Cochinchine. Il forme les villageois isolés et les encadre sur un mode paramilitaire.
1954 - De retour en métropole, il enseigne au Centre d'études asiatiques et africaines. Et à l'Ecole supérieure de guerre, dont il est sorti major. Marchant sur les brisées du colonel Lacheroy, il s'impose comme l'un des plus fins spécialistes de la guerre révolutionnaire.
1957 - En Algérie, il applique sa doctrine sur le terrain avec succès et pacifie le secteur de Philippeville dans le Constantinois.
1961-1964 - Séjour au Sénégal, puis affectation à l'état-major des armées.
1968 - Commande le 5° RIAOM à Djibouti, puis rejoint en 1970 les Forces Françaises en Allemagne.
1973 - Général de brigade à l'instruction des Troupes de Marine à Fréjus. Termine sa carrière en 1976 en ayant dirigé l'Ecole Supérieure des Officiers de Réserve Spécialistes d'Etat-Major.
1999 - Inhumé dans le caveau familial en Lorraine, à Xermaménil, berceau de la famille Hogard.