Communication & Influence N° 5 - Décembre 2008

A LA UNE
Editorial
Puissance des mythes et des rêves

La communication ne se réduit pas à la seule activité frénétique du microcosme médiatique. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’humanité, il a toujours fallu des passeurs d’histoires pour expliquer le monde et donner des repères. Lorsqu’il contemple le ciel étoilé, l’homme s’interroge sur ce qu’il est. Aèdes et poètes, bardes et artistes se sont efforcés depuis la nuit des temps de fournir du sens pour tenter d’apaiser son angoissant questionnement existentiel. Ainsi, certains mythes perdurent, venant des confins de la Grèce archaïque ou des brumes celtiques, pour ressurgir ici et maintenant dans la communication grand public. L’heroic fantasy est emblématique de cet attachement aussi viscéral qu’inconscient à ces figures mythiques qui hantent les rêves des peuples. Le succès du conteur breton Jean Markale, récemment décédé, illustre aussi cette fascination, tout comme l’univers Disney s’impose comme un modèle de l’éternel retour des mythes dans notre quotidien.  De la même manière, le succès international d’Erik L’Homme, auteur fétiche de Gallimard auprès du lectorat jeunesse, participe de cette même attente. Dans la tribune accordée en page 3, il dissèque avec perspicacité et candeur les ressorts intimes de ce désir latent de merveilleux dans la littérature pour adolescents.
La dimension onirique fait pleinement partie de la communication d’influence. Les leçons de Carl Gustav Jung et de Mircea Eliade méritent d’être intégrées dans nos modes d’action. Le mythe n’est pas déconnecté du réel. Il en est au contraire un moteur puissant. Par-delà les modes de fonctionnement rationnels, subsiste au tréfonds de notre moi archaïque un désir de merveilleux. Les fêtes qui rythment notre existence sont fondées tout à la fois sur l’observation des cycles naturels et sur l’interprétation que les hommes en font pour structurer leur imaginaire et leur vie de tous les jours. Ainsi, Noël a pris la relève des solstices antiques, car toujours subsiste le souhait intime du renouveau, du retour du soleil. Bruno Bettelheim avait, en son temps, psychanalysé les contes de fées. Et il est vrai que dragons et lutins, loups-garous et magiciens correspondent à des attentes subtiles et permanentes de l’esprit humain. C’est pourquoi une communication d’influence digne de ce nom présuppose la capacité de conjuguer, sur un mode transversal, des demandes et des attentes liées à des registres différents et cependant complémentaires. Sur ces sages considérations, bonnes et heureuses fêtes de fin d’année à tous !       

Bruno Racouchot,
Directeur de Comes.

Focus
Mythe, raison et communication

“Quelque chose échapperait-il encore et toujours à l’Homo archi-sapiens, version IIIe millénaire, pourtant muni des lumières de sa raison, de sa liberté chérie, de son ordinateur, de ses droits de l’homme et de ses satellites ? Quelque chose d’éternel à quoi seuls les mythes venant de si loin dans le temps donnaient alors accès ?”  Dans Les dieux ne sont jamais loin (Desclée de Brouwer, 2002), Lucien Jerphagnon s’interroge. Pour ce spécialiste de la pensée grecque et latine, fin observateur du monde contemporain, le monde n’est pas réductible à une seule et unique lecture, celle de la raison. En effet, et au-delà des siècles, l’âme humaine a une double attente : “rationnelle et mythique, naturelle et surnaturelle, immanente et transcendante, et si l’on se risque aux grands mots, scientifique et mystique”.
Ainsi, une communication d’influence bien menée doit tenir compte de cette prégnance pour comprendre ses interlocuteurs et formuler ses messages. À condition d’oser revenir au sens premier du mythe, bien sûr, à cette “réalité mystérieuse, malaisée à cerner, qui englobait les dieux, les origines du monde, la vie, l’amour, la mort et l’après-mort, tout”. En agissant comme une véritable “caisse de résonance”, le mythe fait en effet valoir “cette connivence entre l’auteur du message imagé et ses destinataires”. Il permet d’exprimer “une idée de derrière la tête”, de fonder un discours sur les valeurs qui sous-tendent profondément notre imaginaire.


ENJEUX D'AUJOURD'HUI ET DE DEMAIN
Fêtes, mémoire, identité et cohérence

Naissance, vie, mort. Fécondité, fertilité, éternité. Temps linéaire de l’Histoire, temps cyclique du cosmos et des mythes. Dans les sociétés traditionnelles, le cycle naturel des saisons rythme la vie sociale. Autant de séquences qui structurent l’imaginaire de la cité.

Le temps du ciel et celui de la cité

Sur notre Vieux Continent, l’Homme a très tôt repéré l’alternance des saisons. Il en a célébré les cycles, marqués par les solstices et les équinoxes, en élaborant un calendrier rituel. Les quatre saisons sont ainsi ponctuées de nombreuses fêtes, qui mesurent le temps, mettent l’Homme au diapason des rythmes de la végétation, subliment son labeur quotidien. Comme le remarque Yvonne de Sike, “cette unité du monde est parfaite avec la participation des ancêtres, le culte des morts familiers ou mythiques qui se trouvent à l’origine de la lignée, à la création de la cité et de la culture”.
Les événements cycliques organisent le temps de la cité, tout en inscrivant le peuple dans la longue durée. Leur rôle est tout d’abord de réunir ceux que le quotidien disperse, que ce soit autour d’un feu, d’une source ou d’un sanctuaire. L’identité du corps social elle-même dépend de ces célébrations qui renforcent les solidarités. Il s’agit également, par des rituels propitiatoires, d’entretenir de bonnes relations avec le monde souterrain, le ciel, la terre, l’eau, le soleil, le feu et tous les êtres vivants. Les fêtes sont ainsi garantes du bon ordonnancement du monde.

Cycles et rythmes de l’imaginaire

Les différentes théogonies, ces récits sur l’origine des dieux, ont sans cesse réactivé les mythes fondamentaux. Or, récits fondateurs, épopées, hymnes et tragédies sont tout d’abord chantés pour être entendus : ils reposent autant sur des mots que sur des rythmes. En Grèce, les tragédies sont jouées dans le cadre de célébrations saisonnières. L’influence du poète est alors primordiale : c’est à lui de trouver la bonne rythmique, qui va faire vibrer à l’unisson et permettre à la cité de bien respirer au fil des saisons. Fêtes médiévales et célébrations des saints chrétiens fonctionneront sur le même principe. L’hiver a ainsi vu naître, autour du solstice, borne symbolique du char solaire, un grand nombre de fêtes qui doivent inciter le soleil à revenir. Les rites agraires cherchent à lier la fécondité de la terre, des animaux et des hommes dans un même mouvement, afin de ne pas briser le cercle. Tout naturellement, quand sera venu le temps des églises, les hommes se retrouveront autour des saints intercesseurs, lors de fêtes ou de pèlerinages saisonniers. En reprenant à son compte un corpus hérité des temps les plus anciens, l’Église avait compris qu’elle n’aurait pas de meilleur allié, dans sa stratégie d’influence, que l’imaginaire des peuples.
Les célébrations calendaires qui perdurent dans notre civilisation européenne, issues d’un intime mélange de paganisme ancien et de christianisme populaire, demeurent une réalité bien vivante. Si leur rôle civique est moins lisible, elles inscrivent néanmoins notre exubérance et notre joie de vivre dans un vaste réseau social.

Fêtes et croyances populaires en Europe, par Yvonne de Sike, Bordas, 210 p., épuisé. - Fêtes des fous, Saint-Jean et Belle de Mai, par Nadine Cretin, Seuil, 386 p., 21 €.


Le Père Noël, syncrétisme et marketing

Entre le 17 et le 24 décembre, les Romains célébraient les Saturnales en l’honneur donc de Saturne, dieu des graines enfouies dans le sol, mais aussi de Janus, le dieu à deux têtes, qui voit la fin de l’année écoulée et le début de celle qui s’ouvre. Roi mythique de Rome, ce garant de l’abondance avait appris de Saturne l’art de l’agriculture. Les libations des Romains permettaient donc au temps politique, au temps de la cité, de rester en phase avec le temps cosmique.
En Europe, aujourd’hui, sainte Lucie, saint Nicolas, le Père Noël, l’Enfant Jésus, saint Basile, le père Givre, la Befana et les Rois mages sont les plus connus des bienfaiteurs des enfants. Parmi eux, le plus “jeune” est paradoxalement le Père Noël. Il serait né aux États-Unis en 1822, sous la plume d’un pasteur inspiré, pour faire la synthèse des différents “patrons” tutélaires du solstice d’hiver. Réunir les traditions des émigrants sous une même figure se fit au détriment de toute emprise religieuse. Mais permit, peut-être, de revenir aux fondamentaux du mythe nordique, dont furent néanmoins gommés les aspects terrifiants et sombres. Toujours est-il que le vieillard chenu est devenu le héraut d’un consumérisme exacerbé, prouvant par là même que tout marketing efficace puise aux sources de l’inconscient des peuples !

Brèves

Sortir du quotidien – “Les mythes symbolisent les conflits psychiques fondamentaux que tout homme doit traverser : la séduction, le deuil, la rencontre de l’amour, l’initiation… pour entrer dans une relation vivante à l’autre. Ils ‘parlent’ aux managers parce qu’ils sont proches de leurs préoccupations ; les opéras viennent toucher la sensibilité, mobiliser les émotions et l’imaginaire, générer des liens inattendus.”
Stéphane Longeot, philosophe et musicologue, Les Échos, 24/10/08.

Les racines du futur – “Comprendre la pensée des autres avec exactitude suppose que l’on comprenne aussi la pensée de ceux qui nous ont précédés et ici se révèle une autre ignorance qui me paraît dangereuse. Pour trop de jeunes, à l’heure actuelle, bien qu’ils aient étudié l’Histoire, la réalité ne commence vraiment qu’avec leur propre naissance. Tout ce qui précède appartient à un domaine confus, à un magma indifférencié que l’on pourrait appeler une sorte de temps virtuel. En fait, les moyens modernes d’information rendent tous les événements comme contemporains les uns des autres. […] Il serait urgent de rappeler aux nouvelles générations que tout avenir se construit en fonction d’un passé qui vous aide et vous porte plus loin.”
Jacqueline de Romilly, académicienne, Le Monde, 29/10/08.

Quels héros pour demain ? – “Internet est une antichambre entre le monde réel, tangible, et celui de l’imaginaire où l’on tire toutes les ficelles. Sur un réseau, vous n’existez que par rapport à l’image que vous construisez de vous. Certains passent d’ailleurs plus de temps à la travailler, l’embellir, la falsifier qu’à interagir. Notons également que sur les réseaux, des mots comme ‘amis’ ou ‘engagement’ n’ont pas le même sens que dans la vie courante… Internet dramatise volontiers les enjeux à travers le vocabulaire. C’est l’idée que l’on va vivre des sensations et des émotions extrêmes.”
Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, Le Figaro Réussir, 24/11/08.


VEILLE ET ANALYSES
De l’influence des dragons et des magiciens…

Pourquoi les jeunes lecteurs plébiscitent-ils la littérature de l’imaginaire – merveilleux, science-fiction, heroic fantasy et fantastique ? Pour Erik L’Homme, dont les romans d’initiation sont des succès internationaux, la réponse se trouve dans la permanence et la réactualisation des mythes fondateurs.

Un écrivain pour la jeunesse pourrait avoir comme rôle de faire ressurgir les mythes dans un monde rationnel et trop quantifié. En effet, notre société est une juxtaposition d’individualités qui n’ont plus rien à partager car leurs imaginaires n’ont plus rien de commun. D’où sa fragilité et la nécessité de recréer ce lien.

L’imaginaire agrandit le monde

Les enfants veulent avant tout vibrer au fil d’aventures imaginaires ; ils se glissent dans la peau des héros, voyagent en rêve, tout en portant un regard détaché sur la modernité. Leur “royaume” intérieur a besoin de ce réenchantement pour s’évader de la réalité du monde des adultes qu’ils subissent. Des enfants élevés sans télévision, par exemple,  nourriront leur imaginaire par les histoires racontées “au coin du feu”, au contact de Nils Holgerson, de la Table ronde, des contes et légendes d’Europe. Autant de récits qui les initient aux grands mythes. Cette richesse intérieure, il appartient à l’écrivain de la faire partager et de la perpétuer. À lui de ranimer les braises, d’apporter en quelque sorte du combustible. Le monde est un vêtement trop serré qu’il faut faire craquer pour mieux respirer ! Quoi de mieux que l’imaginaire pour agrandir le monde ? Cet imaginaire latent, partagé, est en vérité le socle qui permet aux hommes de vivre ensemble. Il crée du lien social. Il unit un groupe humain.

Une bonne histoire renvoie à des fondamentaux partagés

Raconter constitue un moyen d’influence certain. Toutefois, cette influence ne fonctionne que si l’histoire est enracinée dans un terreau commun et se fonde sur un environnement culturel partagé. L’imaginaire établit les fondations sur lesquelles pourra ensuite fonctionner le storytelling.
Ainsi aucune analyse des États-Unis n’est complète si l’on fait abstraction de l’imaginaire des Américains, intimement convaincus de leur ”mission divine“, qui est de guider le monde. Implicitement, les dessins animés de Walt Disney renvoient à cette “mission”, d’où les caractères univoques des personnages qui se rangent soit du côté du Bien soit du côté du Mal en tant qu’absolus. Alors que, dans les dessins animés japonais de Hayao Miyazaki, tel Princesse Mononoké, les “méchants” comme les “gentils” évoluent au fil du récit vers plus d’humanité. Les Européens ont plébiscité ces films, pour eux en connivence étroite avec leur conception du monde et de la nature. En revanche, Hayao Miyazaki est resté relativement incompris des Américains, à qui cette vision du monde est étrangère. Quant au succès de J.K. Rowling, avec Harry Potter, il est sans doute dû au fait que, dans un contexte formel typiquement anglais, elle n’hésite pas à faire référence à plusieurs imaginaires.

Les archétypes, de la légende au mythe fondateur

Dans un de mes ouvrages, Le Livre des étoiles, le jeune héros, Guillemot, suit les leçons du maître sorcier Qadehar, décrit comme un trentenaire dynamique et sportif. Or les jeunes lecteurs s’étonnent qu’il ne soit pas barbu ! Dans leur imagination, ils le voient affublé d’une barbe, blanche de surcroît, qui est un attribut de la vieillesse. Pourquoi ? Dans un premier temps, ils associent Qadehar à Dumbeldore, le vénérable professeur de magie de Harry Potter. Les plus lettrés, ou les plus cinéphiles, relient Dumbeldore à Gandalf, le magicien de Tolkien. Puis ils citent Merlin, le plus souvent celui de Disney. Lequel Merlin a tous les attributs du dieu nordique Odin, maître des runes et de la magie : la barbe blanche, la haute stature, le bâton de sagesse, etc. Les enfants savent, intuitivement, que ce sage a la possibilité fascinante d’agir sur le monde. Cette conscience de la généalogie du sage débouche ainsi sur la reconnaissance des figures dominantes. Elle montre que la symbolique et les archétypes atemporels hérités de notre plus lointain passé structurent en profondeur nos modes de pensée. Refuser la facilité du superficiel, du contingent, revenir aux fondamentaux, permet de fonder son récit ou son discours sur les traits essentiels de l’identité de chacun.                      

Erik L’Homme
Après une enfance dans la Drôme et une formation d’historien, Erik L’Homme part plusieurs années à la découverte du monde. Il commence à écrire pour la jeunesse en 2001, et reçoit le Prix jeunesse du festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges pour Qadehar le sorcier, premier tome de la trilogie du Livre des étoiles. Après une incursion vers le space opera avec Les Maîtres des brisants, il transpose pour la jeunesse, dans Phaenomen, les "secrets de fabrication" qui ont fait le succès du Da Vinci Code et des X-Files. Ses livres, édités par Gallimard, sont traduits dans plus de vingt langues.
Extraits

Valeurs intemporelles – “La fantasy, le fantastique font ressurgir des mythes, des légendes très anciens. Elfes, dragons, nains, sorciers viennent des mythologies du Nord. […] Le christianisme s’est emparé des mythes, via la vie des saints et le merveilleux. Saint Georges terrassant le dragon, les chevaliers saints…, le merveilleux chrétien, c’est aussi de la fantasy ! On retrouve dans les littératures de l’imaginaire tout ce que notre époque a perdu. Or le lecteur a une demande de merveilleux, il a le droit de rêver, de se projeter dans un monde où tout est possible, où naturel et surnaturel se côtoient.
Autre raison de l’engouement, les héros de ces livres sont des personnages en quête. Le désir d’initiation, même inexprimé, est toujours là chez les jeunes. Ils ont besoin de repères traditionnels d’initiation, qui déterminaient autrefois le passage d’une tranche d’âge à une autre, et qui ont disparu. […]
Ce qui parle aux jeunes d’aujourd’hui dans ces livres, c’est que mes héros sont initiés et subissent des épreuves qui les transforment. […] Il s’agissait de construire une magie qui ne s’apprend pas à l’école, mais dans une relation de maître à élève, et qui soit partie prenante de la trame du monde, une toile d’araignée invisible qui relie toutes les choses ensemble. Il faut l’étudier longtemps pour acquérir une sagesse. Rien ne se fait sans contrepartie. […]
Je n’ai pas de connaissances directes sur la vie des jeunes d’aujourd’hui, leur quotidien m’échappe. Quand j’écris pour eux, j’écris aussi pour le jeune que j’ai été, je mise sur ce qui est intemporel ou éternel. Je ne fais pas de compromis ou de démagogie, à partir de la musique qu’ils écoutent ou de leur langage. […]
La révélation, c’est qu’on n’est pas obligé de coller à leur vie quotidienne pour se faire entendre d’eux. Je mets en scène ses choses qui me touchent comme elles touchaient trente ans auparavant: le goût de l’aventure, l’amitié, la loyauté, le courage. Ces valeurs sont intemporelles.”
Tribune d’Erik L’Homme, La Croix, 04/07/07.

DU SENS, DES REPÈRES
Jean Markale, le barde communicant

Quand le professeur Jacques Bertrand, passionné par l’univers celte, prit pour nom de plume Jean Markale, il endossa, avec cet hommage au roi Mark de la mythologie, les habits du barde inspiré. Récemment décédé, cet essayiste prolixe – il publia plus de cent titres – fut aussi producteur à l’ORTF et à France Culture avant de réaliser des documentaires et des téléfilms pour FR3. Autant dire que pas un Breton ne pouvait échapper à l’emprise de ce vulgarisateur de génie – et que sa notoriété dépassa vite les frontières de l’Armorique.
Puisant aux sources de l’imaginaire européen, son œuvre séduisit d’autant plus qu’elle participa, dès les années 1960-1970, au revival breton – de la harpe celtique aux diverses expériences new age.
De plus, Markale eut l’excellente idée de développer ses thèmes de prédilection dans de vastes fresques organisées en cycles : le Cycle du Graal compte ainsi huit tomes, et la Grande Épopée des Celtes court sur cinq volumes. Sa méthode consistait à réunir les différentes versions, toujours fragmentaires, de textes anciens difficiles d’accès. Ses essais mêlaient ainsi histoire et mythologie, légende et poésie. "Il a fait découvrir à un large public l'épopée celtique, connaissance auparavant réservée à une petite élite de chercheurs", a expliqué la romancière Claire Fourier. Sa verve épique  aidant, ses interprétations furent en effet contestées… "En fait, son approche a le flou de son enthousiasme, ce qui le distingue de la méthode rigoureuse des celtisants, spécialistes du domaine, comme Léon Fleuriot ou Christian Guyonvarc’h. Mais ses essais se lisent comme des romans, ce qui fait aussi leur charme", concède Marc Gontard, professeur de littérature française à l'université Rennes 2. Jean Markale lui-même préférait "être considéré comme poète plutôt que comme chercheur".
En dehors de la Bretagne, il multiplia les ouvrages consacrés à l’ésotérisme, thème prisé des surréalistes. Là encore, ses récits sur les Cathares, les Templiers ou le trésor de Rennes-le-Château se transformèrent en best-sellers, cette thématique du mystère étant relayée par une excellente orchestration médiatique.
Jean Markale était devenu son personnage : plus il communiquait, plus il générait du mythe. Plus il enrichissait le mythe, plus il était publié.  En témoignent Mémoires d’un Celte, où la fable se mêle à la réalité, dans une sorte de fantasmagorie revendiquée: "Je ne sais pas comment m’est venue cette ‘vocation’ celtique, mais j’ai toujours eu le sentiment qu’il existait une tradition injustement méconnue et que mon rôle était de l’étudier, puis de la faire connaître. […] Je suis devenu insensiblement un Celte, comme si cela avait été une chose naturelle, absolument parallèle à ma croissance physique et à ma maturation psychologique." Il fit siens les célèbres vers du barde gallois Taliesin :  “J’ai été goutte de pluie dans les airs, j’ai été la plus profonde des étoiles, j’ai été mot parmi les lettres, j’ai été livre dans l’origine, j’ai été la lumière dans la lampe…“

Extraits

Le mythe, ou le perpétuel renouvellement du même. “Le mythe n’a pas à être compris ni expliqué : il se contente d’être vécu, dans l’Histoire comme dans la pensée. Et c’est ce qui fait son incomparable richesse. J’ai donc exploré […] la mythologie celtique parce que celle-ci était la plus proche de moi, celle que je sentais avec le plus de ferveur. J’ai évoqué les héros mythiques, je les ai réunis autour de moi comme des personnages familiers, dans une forêt de Brocéliande où je savais qu’ils pouvaient exprimer leur potentialité d’être. J’en ai fait mes amis intérieurs, ils […] ont été mes compagnons les plus fidèles sur cette étrange route qu’on appelle la Vie.” Jean Markale, in Mémoires d’un Celte, Albin Michel, 1992.

Jalons

23 mai 1928  Naissance à Paris de Jacques Bertrand, de parents originaires du Morbihan. Son enfance se déroule entre Paris et la forêt de Paimpont, où, l’été, sa grand-mère lui raconte les légendes de Brocéliande.
1944 – 1952  Lancement de diverses petites revues littéraires.
1945  Rencontre capitale avec l’abbé Gillard, recteur de l’église de Tréhorenteuc, passionné par le cycle du Graal.
1949  Fait la connaissance d’André Breton, autre amoureux de Brocéliande.
1953  Premier poste de professeur de Lettres.
1969  Les Celtes et la civilisation celtique (Payot).
Années 1970  Enseigne la littérature à Paris.
1971 L’Épopée celtique en Bretagne (Payot).
1976  Le Roi Arthur et la société celtique (Payot).
1979  Le succès de La Femme celte (Payot) lui permet de quitter Paris et l’enseignement. Il s’installe à Camors, près d’Auray, et se consacre àl’écriture.
1980  Brocéliande ou le royaume de Merlin, téléfilm réalisé par Jean Kerchbron sur un scénario de Jean Markale qui interprète aussi le rôle de Merlin.
1981  Les Grands Bardes gallois, avec une préface d’André Breton (Gallimard) - Merlin l’enchanteur, ou l’éternelle quête magique (Retz).
1992  Mémoires d’un Celte (Albin Michel).
1998  Prix Trévarez pour son premier roman, Notre-Dame de la Nuit (Presses de la Cité).
23 novembre 2008  Décès à Auray.

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